En 2005, l’Espagne est devenue le troisième pays de l’Union Européenne à légaliser le mariage pour les personnes du même sexe, après les Pays Bas en 2001 et la Belgique en 2003. La loi espagnole n’a pas fait de référence spécifique à l’adoption, ce qui signifie implicitement qu’il n’existe pas une exception dans ce domaine pour les couples du même sexe. Cette nouvelle loi a été introduite dans un contexte de mutation des familles en Espagne : plus plurielles et flexibles, mais aussi plus fragiles, qu’auparavant, quand elles étaient plus traditionnelles. Onze ans après sa légalisation, le moment est venu de dresser un bilan général du mariage homosexuel en Espagne : son évolution, sa distribution géographique et les principales caractéristiques sociodémographiques des couples. Pour cela, nous comptons en Espagne principalement sur deux sources : les Statistiques de Mariages publiées chaque année et le dernier Recensement de la Population de 2011, toutes les deux fournies par l’Institut National de Statistique.
Evolution du mariage homosexuel en Espagne
La Figure 1 présente l’évolution de la proportion des mariages entre hommes et entre femmes dans le total des mariages de personnes du même sexe. Comme on peut le voir, les mariages entre hommes étaient prédominants au début : en 2006 ils représentaient presque trois unions homosexuelles sur quatre. Dans les années suivantes, cet écart s’est progressivement réduit, jusqu’à atteindre une proportion presque équilibrée en 2014. 2006 a été l’année du plus grand nombre de mariages entre hommes (3.000); dans le cas des femmes, le record est plus récent, avec 2.036 cas inscrits en 2014. De manière générale, indépendamment de l’orientation sexuelle, la crise économique et la montée du chômage, initiées en 2008, ont accentué la chute de la nuptialité en Espagne. Toutefois, on peut dire que le mariage entre personnes du même sexe s’est consolidé.
Distribution géographique du mariage des personnes du même sexe en Espagne
Le mariage homosexuel en Espagne présente une distribution géographique inégale. Deux communautés autonomes, la Catalogne et Madrid, comptent à elles seules pour 45,2% du total, en moyenne sur la période 2006-2014. Si l’on ajoute l’Andalousie, Valence et les Iles Canaries, on atteint 78,2%. Par contre, ces cinq communautés autonomes (sur 17 qui composent la carte administrative en Espagne) ne comptent que pour 62,3 % des mariages hétérosexuels. À l’exception des Iles Canaries, ces régions sont parmi les plus peuplées d’Espagne.
La proportion de mariages homosexuels sur le total des mariages célébrés dans la période de référence (2005-2014) nous fournit une image plus nette de la distribution territoriale (Carte 1). Au niveau provincial, les proportions les plus élevées s’observent sur le littoral méditerranéen : Malaga en Andalousie, Alicante et Valence dans la communauté valencienne, Tarragone, Barcelone et Gironne en Catalogne, sans oublier les Iles Baléares. À l’intérieur du pays seule Madrid se fait remarquer. Enfin, c’est dans les Îles Canaries que les plus hautes valeurs sont observées. En ce qui concerne les villes, les proportions les plus élevés (au-dessus de 4‰) se trouvent à Valence et Barcelone, ainsi que dans deux villes des Iles Canaries. Avec des valeurs proches de 4‰ se trouvent Madrid et Alicante. En résumé, le mariage homosexuel est spécialement répandu dans le milieu urbain, de la côte de la Méditerranée et des Iles Canaries, et à Madrid.
Principales caractéristiques démographiques
Voyons maintenant les caractéristiques les plus importantes de ces couples, à l’aide du recensement de la population de 2011 (INE 2011).
1) Il s’agit, principalement, de couples d’âge moyen: l’âge médian des hommes mariés (44,6 ans) dans un couple homosexuel est plus élevé que celui des femmes mariées (42,3 ans). Les plus hautes fréquences se concentrent pour les deux sexes entre 30 et 49 ans, et même plus pour les femmes. Ici, il faut tenir compte du fait qu’une proportion importante des personnes concernées comptaient déjà beaucoup d’années de vie commune, mais se sont mariées tardivement car ils n’en avaient pas la possibilité antérieurement. Ainsi, l’âge au mariage est plus élevé que celui des couples hétérosexuels. Si nous considérons les données disponibles le plus récentes portant sur les mariages célébrés en 2014, l’âge médian pour les hommes homosexuels était de 39,1 ans contre 36,7 ans pour les hétérosexuels, et de 36,2 ans et 34,3 pour les femmes en mariage homo et hétéro, respectivement.
2) Le pourcentage des couples mixtes dans le mariage homosexuel en Espagne est particulièrement élevé : 22% de ces mariages sont célébrés avec une personne de nationalité étrangère, et 16% avec deux étrangers. Les nationalités étrangères les plus nombreuses sont celles des autres pays de l’Union Européenne ou, un peu moins souvent, de l’Amérique Centrale ou des Caraïbes. Les couples composés de deux conjoints de nationalité espagnole ne représentent donc qu’un peu plus de 60% du total.
3) Quant au niveau d’études, les mariages homosexuels sont composés dans une grande proportion par des personnes avec un bon niveau d’instruction : 88% des conjoints ont, au moins, un diplôme du secondaire ; un sur trois a poursuivi des études universitaires. Pour les mariages hétérosexuels, un peu plus de la moitié (54,1%) ont achevé des études secondaires (bac ou formation professionnelle).
4) Les origines urbaines prédominent, surtout pour les couples de sexe féminin : presque 50% des femmes mariées sont nées dans une ville de plus 100.000 habitants, pour 38% chez les hommes. Le même pourcentage pour les mariages hétérosexuels est de 45%. L’homosexualité féminine semble ainsi rester encore un défi plus grand en milieu rural.
5) En dernier lieu, malgré le droit à la création d’une famille avec enfants, le pourcentage de foyers homoparentaux reste petit : 80% des couples mariées de femmes n’ont pas d’enfants, chiffre qui passe au-dessus de 90 % pour les hommes.
En conclusion, même dans un contexte particulièrement difficile pour la société espagnole, en raison de la crise économique des dernières années, le mariage homosexuel, quoique rare, semble s’être consolidé comme un nouveau modèle de famille, et peut-être même « normalisé », comme le témoigne la distribution par sexe, qui est désormais équilibrée. Toutefois, sa distribution spatiale reste très inégale, avec des provinces où ce mariage est très minoritaire et les membres de ces couples sont, pour le moment, un peu différents des « autres » : ils ont un bon niveau d’études, proviennent du milieu urbain et ont souvent une origine étrangère.